Le début d’année a été mouvementé sur les marchés obligataires et s’inscrit exactement à l’opposé des performances de 2020 : cette fois c’est le segment souverain qui tire le marché à la baisse (iBoxx EUR Eurozone -2,87% YTD) alors que le segment High Yield affiche la meilleure performance (iBoxx High Yield Senior +1,50%). Mesurée dans son ensemble, la performance du marché obligataire EUR (iBoxx EUR Overall) est de -2,27% au moment d’écrire ces lignes. L’essentiel de cette performance négative s’est produit au mois de février avec une baisse de -1,8%. Cette performance mensuelle est évidemment mauvaise, à l’échelle du marché obligataire, sans être exceptionnelle (la moins bonne performance des 20 dernières années fut celle de mars 2020 avec -3,39%).

 

 

D’où vient cette baisse ?

Cette faiblesse du segment souverain trouve son origine dans la remontée soudaine des rendements des bons du Trésor US (Treasuries) ; plus précisément des rendements à long terme. Elle a été largement commentée ces dernières heures. D’un niveau de 0,912% fin 2020, le rendement (nominal) d’un Treasury 10 ans est passé à 1,474% aujourd’hui (+56 bps). Les rendements à 20 ans et 30 ans se sont apprécié dans des proportions similaires (+69 bps et +57 bps, respectivement) alors que les rendements à court terme sont restés inchangés. C’est donc un phénomène de pentification de courbe qui est en marche, plus exactement de « bear steepening » puisque cette pentification résulte d’une hausse des rendements (et donc d’une baisse des cours) des rendements longs.

 

 

Pourquoi cette pentification de courbe ?

La cause de cette pentification ? La menace inflationniste. Souvenez-vous que la Fed a annoncé une modification de politique monétaire au mois d’août 2020. Une inflation supérieure à 2% est à présent tolérée tant qu’elle demeure proche de 2% en moyenne (« inflation targeting » >>> « inflation averaging »).

Deux mécaniques se sont mises en marche depuis lors :

  1. une remontée des rendements nominaux.
  2. un rebond des attentes d’inflation.

Ces deux phénomènes sont logiques. Dans le premier cas, il est normal que les investisseurs demandent des rendements (nominaux) plus élevés pour compenser un risque d’inflation devenu plus grand. Dans le second cas il traduit une confiance dans la capacité de la Fed à générer de l’inflation (politique monétaire expansionniste). Jusqu’ici on peut dire que l’évolution de marché était conforme au souhait de la Fed. Mais ces dernières heures on a assisté à une accélération de la hausse des rendements (+54 bps sur le Treasury 10 ans sur la semaine), tant nominaux que réels (les points morts d’inflation sont inchangés). De nombreux media ont évoqué le fantôme du « taper tantrum », c’est-à-dire la peur de voir la Banque Centrale contrainte de renverser sa politique monétaire en mettant un terme à ses programmes de rachat d’actifs et/ou en remontant plus vite que prévu les taux Fed Funds (actuellement 0,00%-0,25%) pour contenir une accélération de l’inflation et/ou de la croissance de l’économie US. Un plan de relance ambitieux du Président Biden, vivement soutenu par la nouvelle secrétaire du Trésor US (Janet Yellen) et actuellement débattu, ajoute une charge supplémentaire à ces craintes inflationnistes et au risque de perte de contrôle.

 

 

Les craintes sont-elles justifiées ?        

Pour le moment, pas totalement, selon nous.

Premièrement, les attentes d’inflation restent proches du niveau de 2% ciblé par la Fed : 2,12% pour les points morts d’inflation à 10 ans, 2,27% sur un swap d’inflation 10 ans.

Deuxièmement, l’inflation réalisée rebondit mais demeure pour le moment inférieure à ce niveau cible de 2% : CPI @ +1,4% et PCE @ +1,3%.  

Enfin, la Fed communique énormément sur ses intentions et est formelle sur le maintien de la politique monétaire actuelle pour une longue période. Certains moteurs d’inflation progressent (hausse du prix des matières premières par exemple) et les statistiques marché du travail s’améliorent mais, selon le Président de la Fed, ils sont jugés temporaires à ce stade et ne sont pas de nature à exercer une pression durable sur les prix. La Fed estime par ailleurs que le marché de l’emploi et la relance de la croissance continuent de nécessiter des mesures de soutien importantes.

 

 

Quel est le lien avec le marché obligataire européen ?

Nous percevons la hausse des rendement européens comme la résultante d’un phénomène de contagion qui est global. Les rendements souverains sont en hausse dans de nombreuses devises, même au Japon et en Australie où les Banques Centrales ont pourtant mis en place des politiques de contrôle de la courbe (« YCC – Yield Curve Control »). En Allemagne le rendement du Bund (10 ans) est en hausse de +31 bps (-0,26%) depuis le début d’année et en Italie le rendement d’un BTP 10 ans progresse de +26 bps (0,77%).

 

 

Les portefeuilles sont-ils impactés ?

Oui pour les stratégies qui intègrent une poche d’obligations souveraines au titre de protection du risque crédit. Ces poches de protection utilisent des actifs de duration (des obligations d’Etat de maturité intermédiaire ou longue) dont les prix sont impactés par la hausse des rendements.

Les portefeuilles crédit « pur » sont moins impactés car, pour le moment, car les primes de risque des obligations d’entreprises (« credit spread ») n’ont pas réagi malgré la nervosité des marchés d’actions cette semaine. Le spread moyen du segment Investment Grade augmente de +4 bps seulement cette semaine et traite à un niveau proche des plus bas historiques.

 

 

Quelles actions entreprenons-nous dans la gestion de nos portefeuilles ?

Pour les portefeuilles concernés, les poches investies en obligations souveraines sont maintenues. Un mouvement de hausse rapide des rendements n’est jamais agréable car il génère une baisse des prix mais les obligations souveraines que nous avons acquises l’ont été pour des raisons de couverture qu’il n’y a aucune raison de revoir. En outre la situation de la zone euro est différente de celle des USA (potentiel de croissance, marché de l’emploi, sortie de crise Covid), de sorte que les positionnements sont maintenus.

Ce phénomène conjugué de pentification de courbe et d’insensibilité des spreads de crédit a par contre été l’occasion de prendre des profits supplémentaires sur certaines obligations d’entreprises. Nous continuons à trouver la rémunération du risque de crédit trop faible au regard de la situation en zone euro. Nous poursuivons le mouvement de réallocation vers les segments financier et hybrides.

Sans pouvoir exclure une poursuite du phénomène de pentification, nous observons que les niveaux de courbe USD sont revenus sur des niveaux importants :

  • le rendement d’un Treasury 10 ans traite à un niveau comparable à celui du rendement du dividende du S&P500.
  • La courbe USD a retrouvé une pente « normale » avec un écart de rendement entre le 10 ans et le 2 ans en ligne avec sa moyenne des 20 dernières années.

 

 

Nous restons prudents dans cet environnement et préférons œuvrer au maintien de liquidités qui pourront être redéployées si les spreads de crédit reprennent un peu de hauteur. Cette hausse des rendements sans risque rend le refinancement des entreprises plus compliqué, ce qui augmente le risque de crédit. Dans cet environnement volatile, le marché primaire est d’ailleurs resté inanimé cette dernière semaine.

Nous restons à votre disposition pour tout information complémentaire.